L’ancienne escrimeuse luxembourgeoise revient sur ses trois participations aux Jeux olympiques et son combat sur la place des femmes dans le sport.
Ses souvenirs de sportive remontent à plus de soixante ans, et pourtant, Colette Flesch se souvient de tout en détail. Car lorsqu’on est athlète et que l’on participe pour la première fois aux Jeux olympiques, l’émotion est incomparable. En tant que femme aussi. Être une athlète féminine au début des années 1960 dans le monde très masculin du sport n’est jamais simple. Mais l’ancienne escrimeuse a su sortir du lot et se tracer un destin qui l’emmènera hors des salles d’escrime. Ce sera celui de la politique. Au Luxembourg, en Europe, mais aussi dans les institutions sportives.
Vous avez participé à trois éditions des Jeux olympiques, en 1960 à Rome, en 1964 à Tokyo et en 1968 à Mexico. Quelle édition vous a le plus marquée ?
Colette Flesch : Chacune était différente. Mais il est vrai que les Jeux de Rome m’ont beaucoup marquée. J’avais 23 ans et je vivais mes premiers Jeux olympiques, c’était incroyable. Quand on est un sportif de haut niveau, participer aux JO, c’est le summum, et cela, même si on n’obtient pas les résultats rêvés (elle rit). Ma deuxième expérience en 1964 à Tokyo était aussi très différente. On peut dire que c’était le dépaysement complet. Car, à l’époque, nous n’arrivions pas au Japon aussi facilement qu’aujourd’hui. Les Jeux de Mexico étaient aussi très intéressants. Je découvrais l’Amérique latine et les problèmes politiques qui s’y déroulaient. Finalement, ces trois expériences m’ont toutes procuré beaucoup de joie et m’ont fait grandir.
Quels souvenirs en gardez-vous ?
Je me souviens de l’intense émotion que j’avais ressentie lors de la cérémonie d’ouverture à Rome. C’était un moment extraordinaire. Je me rendais compte de la chance que j’avais d’être là, au milieu de tous ces athlètes fiers de représenter leur pays (…). Il y a beaucoup d’anecdotes et d’histoires à raconter, dont certaines choses pas toujours sérieuses (elle rit). Au-delà de la compétition, il y avait une très bonne ambiance au sein des délégations. On pouvait discuter avec des athlètes d’autres nations ou de disciplines diverses et ça, c’était absolument génial. J’ai même gardé des contacts avec d’anciens escrimeurs, notamment avec les Français avec qui je m’entendais très bien.
Était-ce difficile à votre époque (NDLR : les années 1960) de se qualifier pour les Jeux olympiques ?
Les critères de sélection étaient nettement moins exigeants qu’aujourd’hui. Dans certains sports, comme l’escrime, il n’en existait pas vraiment. Je crois qu’à mon époque, il fallait réussir à se positionner dans une demi-finale du championnat du monde pour être qualifié. À Rome, je me souviens que nous étions une soixantaine de participants pour la délégation du Grand-Duché. C’était un nombre très important par rapport à la superficie et le nombre d’habitants de notre pays.
Justement, une loi a modifié quelque peu les règles de sélection au Luxembourg.
Il y a eu, en effet, très vite une réflexion sur les critères de sélection. Car les organisateurs trouvaient qu’il y avait trop d’athlètes luxembourgeois. Dans les années 1960, les fédérations essaient d’envoyer le plus de sportifs possibles et chacune voulait placer son petit protégé. Ce livre blanc, comme on l’appelle, a abouti à une vraie réforme sur l’organisation du sport de compétition au Luxembourg.
À l’époque, cela a été assez brutal, mais moi, j’ai toujours pensé que c’était quelque chose de bien pour la qualité du sport dans notre pays. Il faut dire que cette évolution ne s’est pas faite uniquement au Grand-Duché, mais aussi dans d’autres pays. Après cela, et au fur et à mesure des années, les critères de sélection se sont renforcés.
Votre histoire avec les Jeux olympiques ne s’est pas arrêtée avec la fin de votre carrière en 1968.
Je suis allée à plusieurs reprises aux Jeux avec la délégation luxembourgeoise. Faire partie de l’organisation était une expérience totalement différente. Pendant cette période, j’ai vécu un moment assez marquant dans l’histoire des JO : l’attentat de deux athlètes israéliens à Munich en 1972 (NDLR : en tout, onze athlètes israéliens ont perdu la vie lors d’une prise d’otages orchestrée par un groupe terroriste lors de cette attaque par des membres de l’organisation palestinienne Septembre noir).
La délégation luxembourgeoise habitait, à l’époque, une maison juste en face de celle de ces deux sportifs assassinés. Ils ont, malheureusement, tout suivi. D’ailleurs, je connaissais très bien l’un des deux Israéliens qui a laissé sa vie. Après cette attaque, le président de la République fédérale d’Allemagne avait rendu un excellent hommage dans le grand stade de Munich. Je me souviens que nous avions, tous, les larmes aux yeux.
Parlons des femmes. Dans les années 1960, étaient-elles nombreuses dans les différentes disciplines représentées aux Jeux olympiques ?
Le nombre d’athlètes féminines était toujours largement inférieur à celui des hommes. Mais il y en avait, en natation, en gymnastique. Pendant les Jeux, nous habitions toutes dans le village olympique qui était séparé des hommes. Nous les rencontrions uniquement durant les pauses-déjeuner, dans le restaurant du village.
Dans votre sport, l’escrime, quelle était la place des athlètes féminines ?
Il y avait quelques dames, mais évidemment beaucoup plus d’hommes. Quand je tirais en salle, au club, la plupart du temps, c’était presque toujours avec des sportifs masculins (…). De plus, il faut savoir qu’à mon époque, les femmes pratiquaient uniquement le fleuret. On considérait que l’épée était trop lourde et trop dangereuse pour elles.
Aujourd’hui, nous ne sommes pas arrivés à une stricte égalité entre les hommes et les femmes dans le sport
Cette disparité était-elle liée au poids constant infligé par la société aux femmes ?
J’ai eu la chance de grandir dans une famille qui aimait le sport et qui encourageait les enfants à en faire. Pour ma part, ma mère jouait, à titre de loisir, au tennis. Et cela, bien avant la Seconde Guerre mondiale, à l’époque où les femmes devaient porter des jupes longues de flanelle (…). Mais il est vrai que j’avais des amis qui ont eu plus de difficultés à faire accepter leur choix de carrière dans leur entourage, qui considérait le sport comme une perte de temps. Je pense aussi que l’environnement scolaire jouait beaucoup. Car si nous étions face à des professeurs qui aimaient ou pratiquaient du sport, ils étaient plus compréhensifs sur le fait que nous rations un cours à cause d’une compétition.
En cinquante ans, comment avez-vous vu évoluer le sport féminin au Luxembourg ?
Ça a bien évolué, mais ça a pris du temps. Durant quelques années, j’avais sous ma responsabilité la thématique du sport féminin au Comité olympique luxembourgeois. Notre but était d’arriver à pouvoir supprimer cette commission spéciale. J’ai dû réaliser deux mandats de quatre ans jusqu’à ce qu’on réussisse à la faire disparaître (…). Encore aujourd’hui, nous ne sommes pas arrivés à une stricte égalité entre les hommes et les femmes dans le sport. Par exemple, on voit peu de femmes dans les structures dirigeantes des fédérations sportives.
Les Jeux olympiques ont commencé il y a quelques jours à Paris. Allez-vous les suivre ?
Je vais, en effet, me rendre à la compétition d’escrime qui se déroule au Grand Palais. C’est un endroit assez spectaculaire. J’ai eu la chance d’assister à un championnat dans ce lieu il y a quelques années et l’ambiance était incroyable. Et puis comme toujours, je vais suivre les différentes épreuves à la télévision.
Derrière la compétition sportive, les Jeux olympiques sont aussi très critiqués par l’opinion publique.
C’est vrai que les Jeux ont beaucoup changé. C’est devenu quelque chose de plus en plus grand, avec plus d’athlètes, de spectateurs, de sponsoring. Pour certains, c’est même devenu un business. Mais déjà à mon époque, on voyait l’aspect commercial. Les fabricants de baskets très connus d’aujourd’hui étaient déjà présents dans les années 1960.
Le Luxembourg a-t-il des chances de médailles ?
Je m’abstiens sur cette question. Je dirais juste une chose : les chiffres sont contre nous (elle rit). Un jour, j’avais compté le nombre de licenciés au sein de la fédération soviétique d’escrime. C’était plus du double du nombre d’habitants du Grand-Duché (elle rit).
Pour ces JO, soutenez-vous un athlète en particulier ?
Non, pas forcément. Il y en a un que j’apprécie beaucoup, mais malheureusement, il ne s’est pas qualifié, c’est Flavio Giannotte. J’ai suivi sa qualification pour les JO. Il avait brillamment réussi le matin, mais pas l’après-midi. C’est dommage, mais il faut dire que c’était difficile pour lui, parce que ce n’était pas une compétition entre Luxembourgeois. Il y avait des athlètes de toute l’Europe.
Que pensez-vous de l’évolution du sport luxembourgeois et des athlètes présents aux Jeux olympiques ?
La qualité et les performances des sportifs se sont nettement améliorées. Et cela même au niveau de l’organisation. Les instances qui s’occupent de préparer les athlètes sont, aujourd’hui, du même niveau que d’autres pays. À mon époque, pour toutes les compétitions et même pour les championnats du monde, nous y allions seuls, sans accompagnement. Les parents des jeunes sportifs devaient payer les entraînements ou les déplacements. Cela pouvait créer des disparités entre les classes sociales.
Fort heureusement, les personnes aux revenus modestes pouvaient être aidées. Au fur et à mesure des années, les gouvernements ont donné plus de moyens aux fédérations et au comité olympique. Ils ont aussi investi dans de nouvelles infrastructures plus performantes. Tout cela a créé de nouvelles possibilités qui n’existaient pas auparavant.
Votre carrière sportive vous a-t-elle aidée dans votre vie personnelle et professionnelle ?
Le sport est une très bonne école. On apprend, par exemple, à gagner et à perdre et, surtout, à ne pas perdre la tête. Ce sont des choses que l’on retrouve dans la vie, dans le domaine professionnel, quand on veut avancer dans sa carrière ou gagner un salaire plus élevé. Le sport m’a également certainement aidée sur le plan de ma notoriété quand j’ai été élue bourgmestre de Luxembourg. Et puis, je dirais que c’est un excellent moyen d’améliorer sa santé et de garder la forme. Jusqu’à l’âge de 70 ans environ, je faisais 40 minutes de jogging tous les matins. Aujourd’hui, à 87 ans, j’ai tout arrêté (elle rit).
Repères
État civil. Colette Flesch est née le 16 avril 1937 à Dudelange (87 ans). Elle n’est pas mariée et n’a pas d’enfants.
Études. L’ancienne escrimeuse a étudié pendant plusieurs années l’économie, le droit, les sciences politiques et les relations internationales aux États-Unis. Après avoir décroché un bachelor au Wellesley College de Boston, elle a obtenu quelques années plus tard un diplôme d’études supérieures en droit et en diplomatie à l’université Tufts dans le Massachusetts.
Sport. Colette Flesch a toujours été une grande passionnée de sport. Elle commence par le ballet, surtout pour faire plaisir à sa mère, mais abandonne vite. Car au même moment, elle découvre l’escrime, une activité totalement inconnue pour elle. À force de pratique, on lui découvre un certain talent. La jeune athlète participe alors à plusieurs championnats nationaux qu’elle gagne haut la main.
Jeux olympiques. Après plusieurs succès aux championnats du monde, Colette Flesch réussit à se qualifier pour les Jeux olympiques de 1960 de Rome. Elle réitère l’expérience deux autres fois, en 1964 pour les Jeux de Tokyo et en 1968 pour ceux de Mexico.
Politique. Après sa carrière sportive, Colette Flesch a eu un important parcours politique. En 1968, elle est élue pour la première fois députée à la Chambre. Deux ans plus tard, elle devient la première femme bourgmestre de la Ville de Luxembourg. Un poste qu’elle occupera pendant dix ans. Elle a également eu plusieurs fonctions au sein du Parlement européen.